L’hoyatoleslam Mohsen Kadivar. Opposant au régime,
Il entend sauver la religion de l’emprise politique.
Un clerc contre le régime des clercs.
Il entend sauver la religion de l’emprise politique.
Un clerc contre le régime des clercs.
Mohsen Kadivar est un théologien chiite respecté. Il s’est présenté aux élections de 2005 qui ont donné Mahmoud Ahmadinejad vainqueur. On peut ainsi résumer son mot d’ordre et l’idée qui aurait orienté sa politique s’il avait accédé à la présidence : l’imposition des lois de la Charia, loin de ramener les musulmans dans les mosquées, les en détourne. Cette position, non seulement rationnelle mais fondée sur des constats, a valu au théologien de se retrouver incarcéré, le temps des élections…
Un des nombreux paradoxes de l’actuel Iran réside dans ce fait : depuis que l’Islam règle la sphère du politique, on se détourne de la religion. On n’a plus peur de la punition de Dieu, seulement de celle d’un Etat très répressif. La justice répressive à la main si lourde, qu’elle se met à occulter Dieu, alors que c’est au départ en son nom qu’elle condamne et exécute.
Jamais les mosquées n’auront été si peu fréquentées en Iran que depuis l’instauration de la République islamique. Autre manifestation du détournement populaire du religieux : une population zoroastrienne qui enfle étrangement[1] (alors que les conversions de l’islam à une autre religion sont strictement interdites), la seule d’ailleurs, puisque toutes les autres communautés voient le nombre de leur membres décroître du fait de départs[2], ou de persécutions[3]. En diaspora aussi, les iraniens, par dégoût des règles religieuses qui ont été imposées par leur pays d’origine, tombent dans un athéisme qui frôle l’intolérance, ou encore, cachent qu’ils n’arrivent pas à ne plus croire en Dieu, tout en revendiquant leur totale rupture avec tout ce qui relève des règles, de la pratique, de la tradition musulmane.
Ce grand paradoxe né de l’imposition, Mohsen Kadivar l’a bien compris. De l’extérieur, on pourrait croire qu’il y a deux oppositions au régime : l’opposition de ceux qui, non religieux, refusent la pratique imposées de lois de la Charia, et l’opposition d’une infime minorité de religieux éclairés qui veulent ramener la jeunesse iranienne aux mosquées autrement que par la violence étatique. Nous n’avons en fait à faire qu’à une et même opposition. L’image de Mohsen Kadivar manifestant, en 1999, aux côtés des étudiants rebelles qui s’élèvent contre la rigidité du régime, rend bien compte du caractère unique de cette opposition. Le théologien est le héros d’une jeunesse anticléricale. Non seulement parce que ce théologien, comme bien d’autres clerc libéraux, ont su poser des mots sur les contradictions du régime en parlant le langage du régime - le discours religieux - mais aussi, parce qu’au même titre que n’importe quel étudiant, il aurait pu être arrêté et pendu pour viol d’enfants ou tortures de vieilles dames. En République iranienne, on ne reconnaît pas l’existence de prisonniers politiques, alors – vaste hypocrisie ! – on invente des motifs pour infliger les peines (qu’il s’agisse de l’incarcération ou de la pendaison). L’acteur iranien Payam Amini, engagé dans la révolte, a été pendu pour « viol et meurtre de dames âgées ». Des étudiants sont condamnés à mort pour pratiques homosexuelles, pédophiles ou gérontophiles (les mollah ne manquent pas d’imagination quand il s’agit d’évoquer des pratiques sexuelles choquantes). Les opposants sont tous des musulmans dont le lien à la religion a divergé du fait de l’étatisation de la religion. L’Iran n’est jamais rentré dans un processus d’effacement de la foi tel qu’il est constatable en Europe. La littérature et les mentalités quand à l’ouverture aux sciences humaines défaites de toute théologie ont environ deux siècles de retard[4]. L’Iran n’a jamais pensé la religion hors de la sphère religieuse. La population est passée du religieux à sa négation, ou du religieux à la prise de conscience qu’il est à défaire des filets de la politique. Deux réactions différentes à une même oppression. La désertion des mosquées, le cri d’alarme des clercs vis-à-vis d’un régime qu’ils sont censés diriger, l’abandon du voile à l’extérieur d’Iran, alors qu’on le portait même à l’heure où il n’était pas obligatoire, sont autant de signes que le régime iranien tient en équilibre sur un vaste paradoxe : l’application séculière de l’atemporel, l’imposition politique et donc sensément rationnel, de ce qui relève de la foi, et donc de l’irrationnel. Cette énorme contraction intrinsèque au régime nous porte à croire, malgré un pessimisme forgé au fer de l’histoire de l’Iran depuis 1979, que c’est de l’intérieur que naîtra la dissolution du régime. De la contradiction même. Comment le régime des mollahs peut-il tenir si « la scission au sein de la communauté cléricale qui est dépositaire du pouvoir en Iran », telle que l’analyse le professeur Shaul Bahkash[5] se dessine de plus en plus clairement ? Les mollahs réformistes, de plus en plus nombreux, constituent une menace sérieuse pour les mollahs, parce qu’ils portent eux aussi le turban.
[1] Le zoroastrisme, première religion de la Perse, fait partie des cultes reconnus en Iran. Entre 79 et aujourd’hui, le nombre de zoroastrien est passé de 21 000 à 91 000.
[2] Les chrétiens, qui étaient 300 000 en 1979, ne sont plus que 100 000. On comptait 80 000 juifs en 1979, à présent, on n’en compte plus que 20 000.
[3] Les bahaïs, 300 000, non reconnus, sont persécutés et pratiquent dans la clandestinité. Ils n’ont pas le droit d’étudier, et n’importe quel citoyen a le droit de tuer un membre de cette importante communauté bahaï sans être inquiété.
[4] Très généralement, on peut dire que le mouvement qui, sur 4 siècles (XVe – XVIIIe) a fait naître humanisme et le réformisme religieux en Europe, entra dans la sphère intellectuelle iranienne au XXème siècle.
[5] In Le règne des ayatollahs université Georges Mason
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