Le précédent numéro esquissait une introduction comparative entre la diaspora iranienne et la diaspora juive. Quelques questions portant notamment sur l’avis des iraniens de France quant à la politique anti-israélienne de leur pays d’origine avaient été posées. Nous comptons apporter ici des réponses élaborées à partir de propos recueillis auprès d’iraniens de France issus de milieux très différents, et de confessions différentes[1]. Il s’agit plus ici d’une investigation analysée que d’une analyse théorique. Les iraniens de France partagent-ils la position d’Ahmadinejad sur l’illégitimité de l’existence de l’état hébreux ? Quels sont leurs rapports avec les membres de la diaspora juive de France ? Ont-ils la même définition de l’identité que les juifs de France ? Les positions politiques et les mentalités des iraniens de France sont-elles très différentes de celles de leurs familles restées en Iran ? Pour pouvoir ériger des réponses générales, pour arriver au plus près de la réalité de positions d’ensemble, nous avons non seulement interrogé une population d’iraniens de France, mais nous sommes allés en Iran, par ailleurs, pour recueillir certains propos auprès d’une population qui se livre beaucoup plus facilement que ce qu’on croit, ceci dans un soucis d’apporter une analyse comparative la plus réaliste possible.
Rappelons que la diaspora iranienne s’est dessinée aux quatre coins du monde[2], par vagues successives, depuis l’avènement de la République Islamique en 1979 : beaucoup sont partis parce qu’ils craignaient pour leur vie, du fait qu’ils étaient des sympathisants affichés du régime du Shah, d’autres ont quitté le pays du fait qu’ils ne désiraient pas suivre les règles imposées de la Charria, d’autres encore, plus tard, à cause des problèmes économiques qui se sont accentués avec l’avènement du régime des mollahs. Ils n’est donc pas étonnant de rencontrer en France, des iraniens qui ne sont absolument pas pratiquants ; c’est même le contraire qui peut surprendre : on a généralement le réflexe de penser, à la vue d’une iranienne voilée ou d’un iranien portant la barbe, en France, qu’ils sont professionnellement rattachés au régime iranien (Iran Air, banque iranienne, ambassade…) – par ailleurs peut-on affirmer que ces iraniens appartiennent à la diaspora[3] ?
Questionner ces dernières personnes ne serait pas concluant : ils sont tenus de répondre au nom du régime. Notons d’ailleurs que tout contact avec ces personnes est généralement évité par les iraniens qui ont quitté le pays de leur propre-chef. Le climat des rapports entre iraniens de la diaspora est généralement la méfiance… chose plutôt normale quand on sait qu’environ deux iraniens sur dix, en France, sont, hormis les fonctionnaires officiellement envoyés par l’Etat iranien, à la solde du régime des mollahs pour dénoncer les exilés qui tiendraient des propos critiques vis-à-vis de la République islamique[4].
Les propos critiques en question concernent autant le régime en soi, que les positions sympathisantes vis-à-vis d’Israël ; autant le sentiment de liberté qu’on acquiert en occident que la désapprobation qu’on peut affirmer quant au système de répression iranien. Tout ce que craint le régime est pourtant généralement affirmé par les iraniens de la diaspora, et même par les iraniens d’Iran. Pour autant, et il nous semble que c’est par ce point qu’il faut commencer avant de rapporter les propos recueillis, le sentiment nationaliste est toujours extrêmement fort chez les iraniens. Il outrepasse toute désapprobation. C’est ce sentiment qui pousse dangereusement même les iraniens les plus hostiles au régime, à se ranger derrière les perspectives de nucléarisation du gouvernement iranien. Pourquoi les autres puissances y ont-elles droit, et pas la grande perse ? Telle est la logique, soutenue par le poids d’une communauté historique plusieurs fois millénaire, dans laquelle s’engagent tous les ressortissant de ce pays. L’identité est plus une affaire d’affect que de raison. C’est ce qui ressort des réponses obtenues à la question de savoir quelle place tient l’iranité dans la vie d’un français d’origine iranienne.
« Mon cœur est resté en Iran et pourtant je n’y suis pas né, affirme Dariush, commercial de vingt-six ans, Je suis d’autre part très fier d’être français. J’ai énormément de respect pour les lettres françaises, la musique française, l’architecture, bref la culture française mais ce respect implique une distance que je n’ai pas avec la culture iranienne. Je ne cherchais pas à faire ma vie avec une iranienne. Je voulais la faire avec une française parce que je n’aurais pas supporté de vivre avec une personne qui aurait gardé des séquelles de la condition à laquelle elle aurait été soumise en Iran. Je voulais vivre avec une femme épanouie par la liberté. Et pourtant mon amie est iranienne, elle vit à Téhéran. Je pense que la seule chose qui nous rapproche c’est cette culture qui colore notre cœur. Mon esprit lui est français : je suis pour la liberté, la démocratie, et je suis cartésien. »
Le sentiment d’appartenance est bien distinct de toute forme de désapprobation politique. Le nationalisme n’est pas à confondre avec le patriotisme, ou avec l’adhésion politique. Le sentiment nationaliste naît, au départ, d’une visée d’indépendance d’une nation menacée, ou d’une volonté de défendre une culture opprimée ou niée. C’est à cela que nous avons affaire, quand nous observons, par exemple, la population se soulever contre la volonté des mollahs de supprimer une fête traditionnelle comme nowruz (jour de l’an perse), au lendemain de l’avènement du régime. C’est dans le patriotisme que nous pouvons tomber à considérer qu’on mette l’intérêt du pays plus haut que la désapprobation politique : le sentiment d’appartenance au pays sur la base de la valeur commune de puissance méritoire par exemple, peut être plus fort que l’hostilité vouée au régime des mollahs, et réunir les plus farouches opposants aux côtés du régime dans la perspective de nucléarisation. La différence étant faite, on peut comprendre la réponse très favorable vis-à-vis d’Israël qu’ont pu donner les personnes très nationalistes qui ont été interrogées :
« Beaucoup de membres de ma famille sont restés en Iran, nous dit Arezu, vingt-huit ans, avocate. Ils sont souvent restés par nationalisme même s’ils sont contre le régime ; d’autres sont restés par peur de la nouveauté alors qu’elle répond à leurs aspirations. Le chef de l’Etat n’est pas pris au sérieux. Surtout quant il s’agit de ses propos vis-à-vis d’Israël[5] Cette politique n’est pas prise au sérieux et indiffère. En France on s’indigne, en Iran on en rit parce que c’est incohérent. Il n’y a que la communauté internationale qui écoute. Le chiffre de 6% d’iraniens pro-régime a été énoncé par Antoine Sfeir dans une émission d’Yves Calvi. Il n’a fait que poser plus de précision sur l’impression de minorité qu’on avait déjà. »
Distinction très marquée aussi, celle dont nous avons déjà parlé dans les précédents numéros et qui nous paraît incontournable : celle à établir entre l’antisémitisme et l’anti-sionisme. Dans le discours des personnes interrogées, ressort d’une part cette distinction que nous, occidentaux, avons du mal à réaliser, et d’autre part le fait que l’anti-sionisme est plus le fait de classes très populaires en Iran.
« Nous avons honte en France des propos contre Israël tenus par le président.. Nous avons un pied dans l’indignation, sentiment de la France, et en même temps, un pied dans le caractère comique qu’implique les propos d’Ahmadinejad. Nous avons peur que la communauté européenne nous mette dans le même panier. Je prendrais l’exemple du séminaire négationniste qui s’est tenu à Téhéran en janvier 2006. Nous savons que les positions de l’Iran sur la Shoah confirme son existence. Le guide suprême affirme que cela a existé. Ahmadinejad a organisé ce séminaire pour attiser un antisémitisme qui n’est que politique. On n’est pas plus antisémite en Iran qu’en France. En Iran, les personnes qui n’ont pas accès aux autres chaînes de télévision que celles du régime, ceux qui n’ont pas les moyens d’entendre autre chose que des propos anti-sioniste et donc d’avoir un esprit critique, tombent dans cet anti-sionisme. En France je ne pense pas qu’on le soit, d’autant qu’on n’aime pas vraiment les palestiniens. »
Ces propos ont pris tout leur sens lors de notre investigation sur place, à Téhéran, où les familles riches que nous avons eu l’occasion de rencontrer, critiquaient sans réserve la politique extérieure du président, et condamnaient avec véhémence, la façon dont les palestiniens inspirent le sentiment d’apitoiement à la communauté internationale. Ces critiques engagent souvent directement ces iraniens, et la plupart des iraniens de France, dans des rapports d’empathie avec la communauté juive. Les iraniens de France, déracinés, n’hésitent pas à parler de réelles ressemblances entre les communautés, et de compréhension mutuellement quant aux notions d’identité et souffrance.
« Pour considérer la communauté juive de France, je dirais que nous lui ressemblons, nous dit Yashar, vingt ans, serveur et étudiant, Nous aimons rester entre nous pour parler de notre iranité comme les juifs parlent de judaïsme, à cette différence que nous ne faisons par entrer le paramètre religion dans nos discussions sur l’iranité. Les Juifs posent souvent des questions du genre « Sarah elle mange cacher ? » ou « Samuel respecte-t-il le shabbat ? ». Nous, nous parlons de l’Iran, des dernières facéties du gouvernement etc. Le deuxième angle qu’il faut évoquer touche aux relations particulières entre juifs et iraniens en France. Il y a des affinités que je n’explique pas. Peut-être faut-il les attribuer au sentiment de déracinement ou du vertige d’ « entre-deux-cultures », mais j’insiste soit la relation est sincèrement fusionnelle, soit il n’y en a pas et aucune de mes relations iraniennes n’ échappe à cette règle. Mon meilleur ami est iranien de Chiraz, ma meilleure amie est juive sépharade. »
Il faut noter que ces rapports entre iraniens et juifs restent des rapports diasporiques. C’est le sentiment d’appartenance au-delà des frontières de la terre d’origine, ou de la religion d’origine, qui implique ces liens basés sur l’empathie. En Iran, les bons rapports qui peuvent être entretenus entre juifs et chiites reposent plus, il nous semble, sur une empathie quant à la situation que le gouvernement iranien entend réserver à Israël, et au sentiment que cela inspire aux juifs d’Iran et d’ailleurs.
[1] Nous avons interrogé vingt-et-un iraniens de France, dont deux sont nés en France, treize sont arrivés en France avant leur dixième année, six étaient adultes quand ils ont quitté le pays. Sur ces personnes, deux sont de confession juive, un est zoroastrien (première religion perse), deux sont chrétiens, les autres sont chiites.
[2] Aux États-Unis 1,5 millions de personnes, plus particulièrement à Los Angeles, surnommé "Tehrangeles" ou "Irangeles". On trouve aussi beaucoup d’iraniens en Turquie (800 000), aux Emirats arabes (560 000), en Irak (250 000) au Royaume-Uni (80 000), en Allemagne (110 000) . En France ils sont environ 62 000, dont près de la moitié en Ile-de-France.
[3] Notre interrogation est liée aux critères qui permettent de déterminer l’appartenance diasporique : 1. le mouvement hors du pays doit être dû à des vicissitudes socio-économico-politiques et engage un éparpillement à travers le monde. 2. le terme de ‘Diaspora’ est à distinguer de la notion de ‘statut’. Immigrés, réfugiés, naturalisés, requérants d’asile, expatriés sont des statuts. Membre d’une diaspora n’en est pas un et englobe tous ces statuts. On ne peut s’identifier absolument à aucun de ces statuts. 3. Le terme de Diaspora implique la question de l’auto-définition identitaire, i.e. une permanente création identitaire hors du pays. (ex : dans la diaspora juive, ce processus est très observable : on fait vivre une culture juive du Maroc, juive de Pologne...) 4. Il faut donc considérer que la vie en diaspora est source de production de savoir, et d’une mémoire sur l’ensemble des expériences migratoires, ce qu’on appelle en sociologie le capital culturel migratoire. 5. Il ne faut pas considérer une bipolarité mais une influence mutuelle centre/périphérie 6. Il y a aussi le critère de l’espérance. On croit au futur, on pense à l’alyah, on attend que le régime tombe pour rentrer. 7. Avant le futur, c’est le passé qu’il faut considérer, moins que le langage d’ailleurs. L’hébreux est la langue du passé qu’on n’a fait revivre au-delà de la prière, mais on se sent lié à la diaspora juive que notre langue maternelle ; de la même façon, un Afghan de France et un iranien de France ne se sentiront pas appartenir à la même diaspora même s’ils parlent tous deux la même langue.
[4] Ce chiffre a été recueilli auprès d’un ancien membre de la SAVAK (ساواک Sazeman-i Ettelaat va Amniyat-i Keshvar, Organisation pour l'Intelligence et la Sécurité nationale), au temps du Shah, qui a fuit l’Iran au lendemain de l’avènement de l’actuel régime, et qui par conséquent, préfère rester anonyme. Toujours est-il, ce contact nous a été très précieux pour réaliser notre entreprise de voyage et de reportage en Iran : nous avons pu prendre connaissance d’un des moyens les plus efficaces du régime pour se maintenir en évinçant l’opposition iranienne de l’extérieur : engager des personnes (souvent de jeunes personnes qui acceptent moins par conviction idéologique que par intérêt financier, de se trouver à la solde du régime) pour se fondre dans la population et relever les propos critiques des iraniens de la diaspora, surtout si ceux-ci compte revenir au pays de temps en temps, pour rendre visite à leur famille par exemple.
[5] Arezu ne connaît ni notre confession, ni le magazine dans lequel ses propos sont recueillis.
Rappelons que la diaspora iranienne s’est dessinée aux quatre coins du monde[2], par vagues successives, depuis l’avènement de la République Islamique en 1979 : beaucoup sont partis parce qu’ils craignaient pour leur vie, du fait qu’ils étaient des sympathisants affichés du régime du Shah, d’autres ont quitté le pays du fait qu’ils ne désiraient pas suivre les règles imposées de la Charria, d’autres encore, plus tard, à cause des problèmes économiques qui se sont accentués avec l’avènement du régime des mollahs. Ils n’est donc pas étonnant de rencontrer en France, des iraniens qui ne sont absolument pas pratiquants ; c’est même le contraire qui peut surprendre : on a généralement le réflexe de penser, à la vue d’une iranienne voilée ou d’un iranien portant la barbe, en France, qu’ils sont professionnellement rattachés au régime iranien (Iran Air, banque iranienne, ambassade…) – par ailleurs peut-on affirmer que ces iraniens appartiennent à la diaspora[3] ?
Questionner ces dernières personnes ne serait pas concluant : ils sont tenus de répondre au nom du régime. Notons d’ailleurs que tout contact avec ces personnes est généralement évité par les iraniens qui ont quitté le pays de leur propre-chef. Le climat des rapports entre iraniens de la diaspora est généralement la méfiance… chose plutôt normale quand on sait qu’environ deux iraniens sur dix, en France, sont, hormis les fonctionnaires officiellement envoyés par l’Etat iranien, à la solde du régime des mollahs pour dénoncer les exilés qui tiendraient des propos critiques vis-à-vis de la République islamique[4].
Les propos critiques en question concernent autant le régime en soi, que les positions sympathisantes vis-à-vis d’Israël ; autant le sentiment de liberté qu’on acquiert en occident que la désapprobation qu’on peut affirmer quant au système de répression iranien. Tout ce que craint le régime est pourtant généralement affirmé par les iraniens de la diaspora, et même par les iraniens d’Iran. Pour autant, et il nous semble que c’est par ce point qu’il faut commencer avant de rapporter les propos recueillis, le sentiment nationaliste est toujours extrêmement fort chez les iraniens. Il outrepasse toute désapprobation. C’est ce sentiment qui pousse dangereusement même les iraniens les plus hostiles au régime, à se ranger derrière les perspectives de nucléarisation du gouvernement iranien. Pourquoi les autres puissances y ont-elles droit, et pas la grande perse ? Telle est la logique, soutenue par le poids d’une communauté historique plusieurs fois millénaire, dans laquelle s’engagent tous les ressortissant de ce pays. L’identité est plus une affaire d’affect que de raison. C’est ce qui ressort des réponses obtenues à la question de savoir quelle place tient l’iranité dans la vie d’un français d’origine iranienne.
« Mon cœur est resté en Iran et pourtant je n’y suis pas né, affirme Dariush, commercial de vingt-six ans, Je suis d’autre part très fier d’être français. J’ai énormément de respect pour les lettres françaises, la musique française, l’architecture, bref la culture française mais ce respect implique une distance que je n’ai pas avec la culture iranienne. Je ne cherchais pas à faire ma vie avec une iranienne. Je voulais la faire avec une française parce que je n’aurais pas supporté de vivre avec une personne qui aurait gardé des séquelles de la condition à laquelle elle aurait été soumise en Iran. Je voulais vivre avec une femme épanouie par la liberté. Et pourtant mon amie est iranienne, elle vit à Téhéran. Je pense que la seule chose qui nous rapproche c’est cette culture qui colore notre cœur. Mon esprit lui est français : je suis pour la liberté, la démocratie, et je suis cartésien. »
Le sentiment d’appartenance est bien distinct de toute forme de désapprobation politique. Le nationalisme n’est pas à confondre avec le patriotisme, ou avec l’adhésion politique. Le sentiment nationaliste naît, au départ, d’une visée d’indépendance d’une nation menacée, ou d’une volonté de défendre une culture opprimée ou niée. C’est à cela que nous avons affaire, quand nous observons, par exemple, la population se soulever contre la volonté des mollahs de supprimer une fête traditionnelle comme nowruz (jour de l’an perse), au lendemain de l’avènement du régime. C’est dans le patriotisme que nous pouvons tomber à considérer qu’on mette l’intérêt du pays plus haut que la désapprobation politique : le sentiment d’appartenance au pays sur la base de la valeur commune de puissance méritoire par exemple, peut être plus fort que l’hostilité vouée au régime des mollahs, et réunir les plus farouches opposants aux côtés du régime dans la perspective de nucléarisation. La différence étant faite, on peut comprendre la réponse très favorable vis-à-vis d’Israël qu’ont pu donner les personnes très nationalistes qui ont été interrogées :
« Beaucoup de membres de ma famille sont restés en Iran, nous dit Arezu, vingt-huit ans, avocate. Ils sont souvent restés par nationalisme même s’ils sont contre le régime ; d’autres sont restés par peur de la nouveauté alors qu’elle répond à leurs aspirations. Le chef de l’Etat n’est pas pris au sérieux. Surtout quant il s’agit de ses propos vis-à-vis d’Israël[5] Cette politique n’est pas prise au sérieux et indiffère. En France on s’indigne, en Iran on en rit parce que c’est incohérent. Il n’y a que la communauté internationale qui écoute. Le chiffre de 6% d’iraniens pro-régime a été énoncé par Antoine Sfeir dans une émission d’Yves Calvi. Il n’a fait que poser plus de précision sur l’impression de minorité qu’on avait déjà. »
Distinction très marquée aussi, celle dont nous avons déjà parlé dans les précédents numéros et qui nous paraît incontournable : celle à établir entre l’antisémitisme et l’anti-sionisme. Dans le discours des personnes interrogées, ressort d’une part cette distinction que nous, occidentaux, avons du mal à réaliser, et d’autre part le fait que l’anti-sionisme est plus le fait de classes très populaires en Iran.
« Nous avons honte en France des propos contre Israël tenus par le président.. Nous avons un pied dans l’indignation, sentiment de la France, et en même temps, un pied dans le caractère comique qu’implique les propos d’Ahmadinejad. Nous avons peur que la communauté européenne nous mette dans le même panier. Je prendrais l’exemple du séminaire négationniste qui s’est tenu à Téhéran en janvier 2006. Nous savons que les positions de l’Iran sur la Shoah confirme son existence. Le guide suprême affirme que cela a existé. Ahmadinejad a organisé ce séminaire pour attiser un antisémitisme qui n’est que politique. On n’est pas plus antisémite en Iran qu’en France. En Iran, les personnes qui n’ont pas accès aux autres chaînes de télévision que celles du régime, ceux qui n’ont pas les moyens d’entendre autre chose que des propos anti-sioniste et donc d’avoir un esprit critique, tombent dans cet anti-sionisme. En France je ne pense pas qu’on le soit, d’autant qu’on n’aime pas vraiment les palestiniens. »
Ces propos ont pris tout leur sens lors de notre investigation sur place, à Téhéran, où les familles riches que nous avons eu l’occasion de rencontrer, critiquaient sans réserve la politique extérieure du président, et condamnaient avec véhémence, la façon dont les palestiniens inspirent le sentiment d’apitoiement à la communauté internationale. Ces critiques engagent souvent directement ces iraniens, et la plupart des iraniens de France, dans des rapports d’empathie avec la communauté juive. Les iraniens de France, déracinés, n’hésitent pas à parler de réelles ressemblances entre les communautés, et de compréhension mutuellement quant aux notions d’identité et souffrance.
« Pour considérer la communauté juive de France, je dirais que nous lui ressemblons, nous dit Yashar, vingt ans, serveur et étudiant, Nous aimons rester entre nous pour parler de notre iranité comme les juifs parlent de judaïsme, à cette différence que nous ne faisons par entrer le paramètre religion dans nos discussions sur l’iranité. Les Juifs posent souvent des questions du genre « Sarah elle mange cacher ? » ou « Samuel respecte-t-il le shabbat ? ». Nous, nous parlons de l’Iran, des dernières facéties du gouvernement etc. Le deuxième angle qu’il faut évoquer touche aux relations particulières entre juifs et iraniens en France. Il y a des affinités que je n’explique pas. Peut-être faut-il les attribuer au sentiment de déracinement ou du vertige d’ « entre-deux-cultures », mais j’insiste soit la relation est sincèrement fusionnelle, soit il n’y en a pas et aucune de mes relations iraniennes n’ échappe à cette règle. Mon meilleur ami est iranien de Chiraz, ma meilleure amie est juive sépharade. »
Il faut noter que ces rapports entre iraniens et juifs restent des rapports diasporiques. C’est le sentiment d’appartenance au-delà des frontières de la terre d’origine, ou de la religion d’origine, qui implique ces liens basés sur l’empathie. En Iran, les bons rapports qui peuvent être entretenus entre juifs et chiites reposent plus, il nous semble, sur une empathie quant à la situation que le gouvernement iranien entend réserver à Israël, et au sentiment que cela inspire aux juifs d’Iran et d’ailleurs.
[1] Nous avons interrogé vingt-et-un iraniens de France, dont deux sont nés en France, treize sont arrivés en France avant leur dixième année, six étaient adultes quand ils ont quitté le pays. Sur ces personnes, deux sont de confession juive, un est zoroastrien (première religion perse), deux sont chrétiens, les autres sont chiites.
[2] Aux États-Unis 1,5 millions de personnes, plus particulièrement à Los Angeles, surnommé "Tehrangeles" ou "Irangeles". On trouve aussi beaucoup d’iraniens en Turquie (800 000), aux Emirats arabes (560 000), en Irak (250 000) au Royaume-Uni (80 000), en Allemagne (110 000) . En France ils sont environ 62 000, dont près de la moitié en Ile-de-France.
[3] Notre interrogation est liée aux critères qui permettent de déterminer l’appartenance diasporique : 1. le mouvement hors du pays doit être dû à des vicissitudes socio-économico-politiques et engage un éparpillement à travers le monde. 2. le terme de ‘Diaspora’ est à distinguer de la notion de ‘statut’. Immigrés, réfugiés, naturalisés, requérants d’asile, expatriés sont des statuts. Membre d’une diaspora n’en est pas un et englobe tous ces statuts. On ne peut s’identifier absolument à aucun de ces statuts. 3. Le terme de Diaspora implique la question de l’auto-définition identitaire, i.e. une permanente création identitaire hors du pays. (ex : dans la diaspora juive, ce processus est très observable : on fait vivre une culture juive du Maroc, juive de Pologne...) 4. Il faut donc considérer que la vie en diaspora est source de production de savoir, et d’une mémoire sur l’ensemble des expériences migratoires, ce qu’on appelle en sociologie le capital culturel migratoire. 5. Il ne faut pas considérer une bipolarité mais une influence mutuelle centre/périphérie 6. Il y a aussi le critère de l’espérance. On croit au futur, on pense à l’alyah, on attend que le régime tombe pour rentrer. 7. Avant le futur, c’est le passé qu’il faut considérer, moins que le langage d’ailleurs. L’hébreux est la langue du passé qu’on n’a fait revivre au-delà de la prière, mais on se sent lié à la diaspora juive que notre langue maternelle ; de la même façon, un Afghan de France et un iranien de France ne se sentiront pas appartenir à la même diaspora même s’ils parlent tous deux la même langue.
[4] Ce chiffre a été recueilli auprès d’un ancien membre de la SAVAK (ساواک Sazeman-i Ettelaat va Amniyat-i Keshvar, Organisation pour l'Intelligence et la Sécurité nationale), au temps du Shah, qui a fuit l’Iran au lendemain de l’avènement de l’actuel régime, et qui par conséquent, préfère rester anonyme. Toujours est-il, ce contact nous a été très précieux pour réaliser notre entreprise de voyage et de reportage en Iran : nous avons pu prendre connaissance d’un des moyens les plus efficaces du régime pour se maintenir en évinçant l’opposition iranienne de l’extérieur : engager des personnes (souvent de jeunes personnes qui acceptent moins par conviction idéologique que par intérêt financier, de se trouver à la solde du régime) pour se fondre dans la population et relever les propos critiques des iraniens de la diaspora, surtout si ceux-ci compte revenir au pays de temps en temps, pour rendre visite à leur famille par exemple.
[5] Arezu ne connaît ni notre confession, ni le magazine dans lequel ses propos sont recueillis.
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