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Ces mollahs qui touchent aux fondements de la République Islamique...


Le chiisme qui est censé être le ciment de la théocratie iranienne, s’illustre malheureusement dans une actualité souvent tragique. L’occident n’est plus dupe du prétexte qu’il incarne désormais de façon exclusive en Iran, et ne connait malheureusement le chiisme que sous son angle politique... angle qui lui est pourtant traditionnellement incompatible. De plus en plusd’autorités religieuses le soulignent : des religieux respectés qui ont cru eux-mêmes en l’uptopie théocratico-chiite, aux religieux qui veulent entrer dans le système en vigueur pour faire entendre leur position sur l’illégitimité religieuse et politique d’un tel régime. La république répressive est « un péché sur le plan religieux et un crime sur le plan juridique », pour reprendre les termes du grand ayotollah Montazeri.

C’est parce que le régime a dénaturé le chiisme traditionnel qu’il faut parler d’un manque de légitimité religieuse, antant que d’un manque de légitimité politique. Le dessin caricatural présenté par l’Herald Tribune du 24 juin dernier illustre bien la contradiction interne des fondements du régime : Khameini est face à deux votants et leur déclare « Vous votez, Dieu décide. » Cela laisse peu de doutes sur le réel électeur du président sachant, qu’en Iran, le représentant de la parole de Dieu n’est autre que Khameni, le guide suprême.
Le régime n’a pas peur de s’asseoir dans la répression, il n’a pas peur non plus de provoquer le reste du monde, et ne craint pas de voir les conditions imposées au peuple iranien critiquées massivement par la communauté internationale... par contre la perspective que les architectes de la bâtisse étatique condamnent eux-mêmes ses fondations, revient, en quelque sorte, à scier la branche sur laquelle le régime se tient.

« Si le peuple iranien (...) est réprimé, la montée de la frustration pourrait éventuellement détruire les fondations de n’importe quel gouvernement, aussi fort soit-il ».
Les termes sont posés par l’ayatollah Montazeri : on parle désormais de destruction des fondements du régime. Si ces propos n’impliquent que le versant d’une illégitimité politique, l’ayatollah s’en prend aussi au versant religieux. En effet, les propos de Montazeri sont d’autant plus pertinents qu’il était l’héritier présumé de l’imam Khomeyni. En 1989, l’hodjatoleslam Khamenei est devenu ayatollah du jour au lendemain pour être guide suprême et ainsi écarter un Montazeri clairvoyant sur la récupération du chiisme comme outil politique. Montazeri s’est vu invité à la résidence surveillée en 1997 ainsi qu’en 2003, à Qom.
La surveillance n’est que physique, le grand marja (Le marja’ , « source d’imitation », est la plus grande autorité. Il est le seul à avoir une autorité religieuse dans l’interprétation des Textes.) continue de publier des communiqués pour promovoir une séparation des pouvoirs religieux et politiques, ainsi que la démocratie en politique. C’est d’ailleurs dans un récent entretien copieusement diffusé sur des sites électroniques iraniens que Montazeri a exprimé son soutien au peuple, en touchant ouvertement aux fondements du régime. Chaque iranien a le droit de « s’exprimer pacifiquement (...) Chaque bon musulman a le devoir de s’opposer à l’injustice de ceux qui bafouent ses droits ». Rappellons que le chiisme duodécimain, religion officielle de l’état iranien depuis le 16ième siècle, définit des positions à adopter par les fidèles en matière de politique...et ces positions ne sont absolument pas celles qui ont fondé la république islamique d’Iran. Le chiite qui observe la religion traditionnellement doit attendre l’établissement d’une justice divine avec l’arrivée du douxième imam, l’imam caché, Mahdi. Cette grande attente, seule position politique acceptable du point de vue du chiisme, s’appelle la Ghayba. Quand Montazeri prône la désobeïssance civile, il est dans une justice commune à la sphère religieuse et politique.Quand L’ayatollah Osdati, autre grande autorité chiite menace le régime théocratique en affirmant que « si la pression continue, une bonne partie d’entre nous [Marja et fidèles] quittera la république islamique pour s’exiler à Nadjaf en Iraq », c’est là encore pour incriminer l’existence même du régime fondé sur le religion.

Les architectes du régime reviennent ainsi sur les fondements qu’ils ont eux mêmes déssinés, criant garde à l’effondrement...et parmi les religieux, ils ne sont pas les seuls. D’autres clercs n’ayant pas participé à la fondation du régime expriment leur position clairvoyante. Ils ne cessent pas le combat amorcé depuis la naissance même du régime, chose que l’opinion internationale ignore. La critique religieuse du régime théocratique est coextensive à son existence : si Khomeyni sur la fin de son « règne » a écarté Montazeri et modifié les modalités d’avênement des guides suprêmes en permettant qu’on puisse les élire parmi le clergé de rang intermédiaire, c’est uniquement parce qu’une majorité de grands Ayatholahs ont bien saisi les contradictions religieuses d’un tel régime.
Mohsen Kadivar fait partie de ces clercs éclairés qui ont bien saisi ces contradictions internes et qui ont décidé de passer par des voies légales pour faire entendre leur voix. Kadivar n’est pas le candidat malheureux d’élections présidentielles. Il s’est pourtant souvent présenté devant le Conseil des gardiens de la révolution pour voir sa candidature avalisée. Mais, en bon clerc, Mohsen Kadivar a clairement exposé ses vues : il faut séparer le pouvoir religieux du pouvoir politique pour que cesse la mascarade : un Etat au sein duquel la Constitution est au dessus de la Charia ne peut se targuer d’être théocratique. Un pays musulman qui voit ses mosquées désertées en réaction politique ne peut pas revendiquer de succès théocratique. Une nation au sein de laquelle la population ne craint plus Dieu mais les forces de l’ordre ne peut plus affirmer ses revendications théocratiques. Les gardiens du régime ont évidemment écarté Mohsen Kadivar de la scène politique. Le clerc aura en tout et pour tout passé trois ans dans la prison d’Evine pour avoir exprimé ses positions. Mohsen Kadivar vit désormais aux Etats-Unis et poursuit son combat en recueillant et en diffusant le message de religieux dissidents tel Montazeri, autrefois son professeur.

Si Montazeri est sorti de la sphère du régime, si Kadivar n’a jamais pu y pénétrer pour se faire entendre, ce qui demeure le plus inquiétant pour la pérennité de la République islamique trouve son incarnation dans une condamnation nouvelle : celle des politico-religieux qui sont à l’intérieur du système : Moussavi, Rezaee, Karoubi. Les trois candidats malheureux des dernières présidentielles, trois architectes du régime dont deux religieux.
Si, dès le 20 juin dans un courrier adressé au Conseil des gardiens, Moussavi se dit « aux côtés des Iraniens pour défendre leurs droits » et outré de voir le guide suprême « menacer le caractère républicain de la République islamique et de viser l’imposition d’un nouveau système politique », le candidat vert sort théoriquement du circuit ; si Karoubi a également frôlé la limité en jetant son turban en menaçant d’abandonner son statut de religieux si l’islam continuait d’ainsi s’incarner dans la répression, Rezaee reste dans le système pour avertir en toute légitimité dans une lettre ouverte du dimanche 5 juillet d’un « risque d’effondrement de la République islamique ».

Cet élan des mollahs critiquant le régime des mollahs prend une ampleur que c’est désormais sur lui qui se fondent désormais les mouvements institutionnels et organisés de déstabilisation. La rue reste bien évidemment le baromètre le plus visible de la crise post-électorale, même si les images ne sont désormais plus beaucoup relayées par les medias internationaux ; mais la machinerie lourde, celle qui effraie le régime, celle qui le délégitime à ses fondements, est bien à l’oeuvre, soutenue par la population et nourrie par la population en ce qu’elle est justement un moyen pour les religieux de montrer au régime son échec cuisant quant au respect de son caractère républicain, et prétendument divin.

Commentaires

Benoît a dit…
Bonjour,

Un merci s'impose pour ces explications, éclairantes entre toutes pour "l'occidental lambda" que je suis.
Avez-vous des éléments d'informations concernant la situation actuelle en Iran? J'imagine que oui.
J'ai lu sous peu un article faisant état d'une dissidence grandissante au sein de l'Assemblée des experts. Peut-on espérer voir cette même gène s'installer au sein du Conseil des gardiens dans les temps à venir, ou le soutient de ce dernier au guide Khamenei reste t-il inflexible?

J'étais à la Maison des Arts hier mais je n'ai pas pris le temps de voir avec vous s'il restait des places pour les cours que vous dispenserez prochainement. Pourriez-vous me renseigner?

Merci par avance et bonne continuation.
Benoît

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