Accéder au contenu principal

La Shoah et l’Iran



Madar Zefr Daradjé (virage à zero degré). Cette série télévisée qui connaît un grand succès en Iran (programme des chaînes de l’Etat), fait l’éloge du rôle qu’a joué l’Iran, pendant la seconde guerre mondiale, pour le salut du peuple juif. La série conte l’histoire d’un irano-palestinien musulman amoureux d’une juive française qu’il tente d’arracher aux mains des nazis. Cette série est la plus coûteuse des productions jamais réalisées par les chaînes de l’Etat iranien.



Il est évident que le point de départ d’un tel sujet s’incarne dans la série de conférences négationnistes ou révisionnistes qui se sont tenues à Téhéran en janvier 2006. Cet événement très médiatisé a donné lieu à de vives – et salutaires – critiques internationales du régime iranien. Nous considérerons plus tard ces critiques ; avant cela, il nous semble fondamentale de revenir sur une fausse idée et sur certaines méconnaissances : d’abord la position officielle de l’Iran vis-à-vis de l’existence de la Shoah, puis le rôle de l’Iran au moment de la Shoah.

La position officielle de l’Iran, sur quelque sujet qu’il soit, réside dans la parole du guide suprême, Khamenei actuellement. Il est le chef d’Etat. Le président n’a que très peu de pouvoir en définitive en Iran . Or, la position de Khamenei sur la question de la Shoah confirme son existence. Telle est donc la position officielle de l’Iran. Pour autant, la question de la Shoah n’est absolument pas liée à la question d’Israël pour le guide suprême : Israël, ennemi à abattre oui, mais la mythification du génocide, il n’en est pas question. Maintenant, doit-on voir dans la position de Khamenei une volonté de ne pas tomber dans le ridicule, à considérer l’histoire de l’Iran pendant la seconde guerre mondiale ?
L’Iran entretenait de bons rapports économiques avec l’Allemagne pendant le deuxième conflit mondial ; cependant, quand les nazis réclamèrent les juifs perses, l’Iran opposa un refus catégorique. Le gouvernement iranien réussit à convaincre les experts raciaux nazis que les juifs iraniens étaient de pure race iranienne, aryenne au sens propre du terme , depuis plus de 2500 ans, et avaient exactement les mêmes droits que n’importe quel autre Iranien. Les nazis furent contraints d’accepter les arguments perses, mais le gouvernement iranien ne s’arrêta pas là ; on ne pouvait pas se contenter du salut des juifs d’Iran : beaucoup de juifs d’Europe furent sauvés par des diplomates iraniens qui leur procurèrent des passeports iraniens. La guerre terminée, le gouvernement et le peuple iranien aidèrent aussi beaucoup de juifs irakiens à fuir les persécutions dont ils étaient victimes dans leur pays, pour rejoindre ce qui allait devenir Israël. Les liens qui rattachent historiquement l’Iran à la Shoah se prolongent même, sous le Shah, dans la reconnaissance de l’Etat d’Israël, et de la mémoire juive : l’Iran est le premier pays musulman à reconnaître Israël et à établir des relation étroites qui durèrent jusqu’en 1979, heure de la révolution. Les armées israéliennes et iraniennes étaient formées à la même école, et les accords économiques qui liaient les deux pays étaient nombreux ; mais il faut tout de même noter que c’est à cette époque qu’un souffle antisioniste clérical se mit à se répandre : à l’heure de l’aide de l’Etat iranien au peuple juif, les ayatollahs formulent des prêches enflammés contre Israël. Les premiers grands slogans antisémites promus par le clergé émergent.
La différence que nous avons étudiée jusqu’à lors, au cours de nos précédents articles, entre antisémitisme et antisionisme, trouve sa pleine expression lorsque l’ayatollah Ruhollah Khomeyni arrive au pouvoir en 1979, annonçant que les juifs seraient traités relativement à la place que la religion accorde aux dhimmis, qu’il en était le défendeur, parce que l’islam les nommait les « gens du Livre ». Par ailleurs l’avènement de la République islamique dirigée par Khomeyni sonne aussi le glas de l’entente israélo-iranienne : il faut désormais défendre les juifs en s’élevant contre Israël.
Quel est dès lors l’intérêt, et la place de la série de conférences négationnistes de janvier 2006, dans la politique iranienne ? Nous sommes, a priori, confrontés à un paradoxe : l’affirmation d’un respect du judaïsme, et l’atteinte à la mémoire du peuple juif. Le paradoxe trouve d’ailleurs toute son incarnation dans la série télévisée Madar zefr daradjé, série iranienne financée par l’Etat : au cours de vingt-deux épisodes, l’histoire d’amour entre un irano-palestinien musulman et une juive française que le jeune iranien arrache aux mains des nazies, brosse le portrait dithyrambique du véritable acteur principal : l’Iran de la seconde guerre mondiale : l’Etat salvateur. Comment une telle série (payée par l’Etat même !) peut-elle rencontrer l’audimat d’un pays qui tend à mythifier la Shoah ? D’abord, la qualification mythique de la Shoah n’est pas loin d’être l’apanage exclusif de Mahmoud Ahmadinejad (Cf. nos précédents articles), puis cette série sert la distinction que le gouvernement réalise entre antisémite et antisionisme. Le seul paradoxe à considérer réside dans la position du président. Isolé, en quelque sorte, et en même temps, le plus écouté de la scène internationale. Mahmoud Ahmadinejad a aussi donné son accord pour la diffusion de la fameuse série Madar zefr daradjé, même si on lui doit l’organisation d’une série de conférences dont le thème entre en parfaite contradiction avec les propos du réalisateur du feuilleton, Hassan Fathi, sur l’existence du génocide juif, même s’il y voit la légitimité de l’anti-sionisme : le massacre de juifs innocents est, pour lui, à comparer dans l’horreur aux massacre des palestiniens « par des soldats sionistes racistes », selon ses propres termes.

Commentaires

Anonyme a dit…
Je viens de découvrir votre blog, votre parcours et votre engagement. Je me sens moins seul, et un grand merci pour ce rappel des faits historiques.
Anonyme a dit…
Je rajouterais juste que le régime des mollahs (régime qui finance/produit ce fameux feuilleton Madar Zefr Daradjé) a un culot monstre de s'accaparer, implicitement, sournoisement, ces faits historiques, héroïques, à leur compte ! Parce que bien évidement, à aucun moment dans le feuilleton, ils ne mentionnent les rois, Shah, Pahlavi comme étant à l'initiative de ces faits que vous avez fort bien rappelez et qui ont permis la protection des juifs d'Iran, d'Irak, mais aussi d'un certain nombre de juifs d'Europe (malheureusement bien trop peu) à travers leurs transferts en Iran.

Enfin, juste une remarque, je vous cite :

"Les liens qui rattachent historiquement l’Iran à la Shoah se prolongent même, sous le Shah, dans la reconnaissance de l’Etat d’Israël, et de la mémoire juive ..."

"se prolongent "même", sous le Shah ..." Cette formulation donne l'impression que le seul soutien des Pahlavi a été la reconnaissance de l’État d'Israël. Tout ce que vous avez expliquez dans votre article a été possible avec le soutien et la bénédiction des Pahlavi (Reza Shah, puis Mohammad Reza Shah).

Bien à vous,
Doroud bar shoma,

Posts les plus consultés de ce blog

Diaspora juive et diaspora iranienne.Vues des iraniens de France sur les Juifs et sur Israël.

Le précédent numéro esquissait une introduction comparative entre la diaspora iranienne et la diaspora juive. Quelques questions portant notamment sur l’avis des iraniens de France quant à la politique anti-israélienne de leur pays d’origine avaient été posées. Nous comptons apporter ici des réponses élaborées à partir de propos recueillis auprès d’iraniens de France issus de milieux très différents, et de confessions différentes [1] . Il s’agit plus ici d’une investigation analysée que d’une analyse théorique. Les iraniens de France partagent-ils la position d’Ahmadinejad sur l’illégitimité de l’existence de l’état hébreux ? Quels sont leurs rapports avec les membres de la diaspora juive de France ? Ont-ils la même définition de l’identité que les juifs de France ? Les positions politiques et les mentalités des iraniens de France sont-elles très différentes de celles de leurs familles restées en Iran ? Pour pouvoir ériger des réponses générales, pour arriver au plus près de la réalité

CETTE ETOILE A MON BRAS

A commander sur : http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/BOOK/enayatzadeh-setare/cette-etoile-a-mon-bras-roman,28589243.aspx « Nous étions nombreux à avoir ce gène ethniquement transmissible du nom de judaïsme... Vivre avec, c'était rejoindre le clan des anormaux, des handicapés, des sous-hommes. C'est la raison pour laquelle on avait décidé pour notre bien qu'il était préférable d'être mort. Vivre avec une telle tare c'était comme avoir l'apparence d'un homme sans en avoir la dignité (…) Alors j'ai tout simplement décidé de commettre le crime pour lequel on m'avait accusé à tort, histoire de n'être pas condamné pour rien: j'ai endossé la déloyauté qu'on attribue généralement aux juifs, j'ai changé de nom et de pays pour, dans un premier temps, échapper à l'ennemi alors qu'il n'était pas assez puissant pour m'arrêter… » Heinrich fuit sa vie pour dessiner l’histoire de sa mort. Il est vite rattrapé par le devoir, et ce der

Martyrophilie, martyropathie : l’égoïsme idéologique moderne

Amélie Chelly, EHESS Néologisme ? Barbarisme ? Il semble pourtant évident que les termes de martyrophiles et de martyropathes devraient entrer plus idéal-typiquement dans les essais sociologiques. En effet, la martyropathie est un phénomène qui, plus que jamais, trouve sa place dans le monde moderne comme son absolu négateur. Les médias ont pris pour habitude d’appeler certains martyropathes « kamikazes », mais suivre la verve journalistique dans son élan serait se prêter à l’exercice de l’anachronisme, de l’abus de langage et de l’amalgame . Le kamikaze, c’est le japonais de la seconde guerre mondiale qui, sachant qu’il y laisserait sa vie, s’écrasait sur les cibles jugées stratégiques, pour servir son pays. D’ailleurs le terme «  kami  » - l’esprit, au sens divinisé du terme – «  kazé  » - du vent – ne laisse que peu de place à une définition autre de celle originellement puisée dans un contexte historique : l’esprit du vent, porté par le sacrifice. Alors qui sont les nouvea