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LES JUIFS D’IRAN :Deuxième plus grande communauté juive du Moyen-Orient après Israël.





« Si nous sommes partis c’est que nous avions peur, avance timidement Daniel S., juif iranien arrivé en France en 1980 ; mais au fil de mes voyages, aux dires de mes amis ou des membres de ma famille qui vivent encore là-bas, j’ai révisé les a priori que j’avais sur l’Iran de 79 : les Juifs y vivent mal, aussi mal que tous les iraniens ».

Les esprits occidentaux érigent une image assez caricaturale de la situation des Juifs en Iran. Effectivement, depuis l’avènement en 1979 de la République islamique, l’Iran a vu sa population juive passer de 80 000 à environ 25 000 individus, mais l’exil est une tendance qui ne concerne pas que la communauté juive. Toutes les communautés religieuses en Iran ont vu leurs chiffres chuter à la division. Les Juifs sont protégés par l’Etat, et accèdent à des privilèges insoupçonnés : fabriquer son vin pour le shabbat alors que l’alcool est strictement interdit en Iran (l’article 179 de la Loi iranienne sur les Punitions Islamiques préconise la pendaison pour un individu pris à boire de l’alcool pour la troisième fois), avoir des écoles Juives protégées par les autorités chi’ites (on compte moins d’attentats visant la communauté Juive en Iran qu’en France !), avoir des places au parlement, au même titre que les autres communautés chi’ite, chrétienne, zoroastrienne… Les Juifs d’Iran sont des iraniens avant d’être des Juifs. La preuve en est qu’eux seuls ont le droit d’aller rendre visite à leur famille en Israël et de rentrer en Iran sans risque aucun, alors que tout individu non-iranien, même chi’ite, prendrait de grand risque à poser le pied en terre iranienne alors que son passeport porte la trace d’un passage par Israël ! L’antisémitisme ne dessine pas la politique iranienne : c’est un anti-sionisme exacerbé qu’il faut considérer. Les Juifs iraniens eux-mêmes ont du mal à conceptualiser la notion d’antisémitisme : ils n’ont pas une grande conscience de la Shoah.

« La série de conférences, très largement négationnistes, qui s’est récemment tenue à Téhéran indique Daniel S., a suscité une vive indignation en occident. J’ai vécu, de concert avec la communauté juive de France, et la communauté iranienne de France, une vive offense, d’autant que le professeur français Faurisson participait de ces ignominies. Par contre, cette série de conférences n’a pas eu d’effet sur les Juifs restés en Iran. Notre jeunesse a été épargnée des récits de guerre et d’extermination. »

Peut-on parler d’antisémitisme du fait même que ces conférences se soient tenues à Téhéran ? En effet, nous sortons d’une thèse strictement anti-sioniste en mettant en lumière des théories négationnistes. Pourtant, des faits de l’histoire iranienne contemporaine désignent bien ce genre d’entreprise comme un simple moyen de nourrir une politique résolument anti-sioniste. D’abord, cet étrange et paradoxal privilège accordé aux juifs iraniens – ou plutôt aux iraniens juifs !) de pouvoir aller et venir entre Jérusalem et Téhéran, puis ce malheureux épisode en 1999, où treize Juifs ont été incarcérés pour espionnage en faveur des Etats-Unis et d’Israël : ces arrestations n’ont été qu’un prétexte politique pour défaire l’entreprise réformatrice de Khatami qui entendait s’éloigner de la perspective anti-sioniste érigée par Khomeyni et ravivée par Mahmoud Ahmadinejad. Contrairement à ce qu’avance Antoine Spire, nous n’avons pas à faire à une nouvelle forme d’antisémitisme cachée derrière un anti-sionisme, l’Iran fait construire et nourrit un sentiment anti-sémite pour appuyer sa politique anti-sioniste.

« Si nous avions à faire à un antisémitisme tel qu’on a pu y être confronté dans l’Europe du XXe siècle, les iraniens n’auraient pas même pu concevoir une citoyenneté iranienne pour les Juif, insiste Daniel S. Et si dans les films iraniens, les Juifs tiennent toujours le mauvais rôle, si dans les écoles on diabolise le Juif, c’est parce que les autorités craignent qu’on fasse la distinction entre Juif et sioniste, différence qui est par ailleurs indéniable »

Les juifs d’Iran sont citoyens, vont à l’université, pire ! échappent aux lois islamistes issues de la sunna en étant jugés par les institutions de l’Etat chi’ite au même titre que les iraniens chi’ites, alors que si les lois de l’Islam étaient purement et strictement respectées, Juifs comme chrétiens devraient être juridiquement séparés du reste de la population, en étant jugés par des instances propres (tribunaux rabbiniques ou ecclésiastiques). Les Juifs d’Iran ne se sentent pas en danger. Les anciennes générations, celles des grands-parents ou des arrière-grands-parents n’investissaient pas dans l’immobilier relativement à un projet commun d’expatriation. Ce n’est pas le cas de celle des parents, qui achètent des appartements, des voitures, du mobilier coûteux. Dans l’Iran d’aujourd’hui, ce sont les jeunes qui, nourris par le monde occidental, la culture américaine auxquels Internet donne accès, commencent à aspirer à des libertés qu’ils n’ont, pour beaucoup, pas vécu, et émettent la volonté de partir.


Petit rappel chronologique : l’Iran de 79 à aujourd’hui

11 février 1979: après des mois de manifestations réprimées avec violence, le shah (Mohamad Reza, dernier Pahlavi à régner) abandonne le pouvoir et l’ayatollah Khomeyni, qui avait élaboré ses plans idéologiques pendant son exil en France, rentre à Téhéran.
1er avril 1979: La république islamique est proclamée.
Août 1979: la nouvelle constitution accorde à Khomeyni le pouvoir suprême.
1980: La guerre avec l’Irak éclate. Elle est déclenchée par l'invasion des troupes irakiennes.
1981: Ali Khamenei (à ne pas confondre avec le guide Khomeyni) est élu président de la république.
1988: Fin de la guerre Iran/Irak. Le conflit a fait un million de morts.
Juin 1989: Mort de l'Ayatollah Khomeyni. Ali Khamenei lui succède en temps que « Guide de la révolution ».
Juillet 1989: Nouveau président de la république Ali Akbar Hachemi Rafsandjani.
Mai 1997: le réformateur Mohammad Khatami est élu président de la république. Il sera réélu en 2001.
Février 2003: Avalanche conservatrice à l'occasion des élections municipales. Mahmoud Ahmadinejad remporte la mairie de Téhéran (taux d'abstention de plus de 85% !!).
Octobre 2003: accord entre l'UE3 et l'Iran. Téhéran accepte d’appliquer le protocole additionnel au traité de non-prolifération (TNP)
Février et mai 2004: victoire écrasante des conservateurs à l’heure des législatives : ils obtiennent 195 sièges sur 290.
Juin 2005: Mahmoud Ahmadinejad remporte les présidentielles contre Rafsandjani avec 61,7% des voix. Le taux de participation est de 59,7%.
Automne 2005: le président Ahmadinejad multiplie les provocations à l'encontre d'Israël, qui doit être« rayé de la carte », et tient des propos négationnistes.
12 mai 2006 : le secrétaire général de l'Onu Kofi Annan appelle les Etats-Unis à dialoguer directement avec Téhéran pour résoudre la crise : projets nucléaires de l’Iran et lettre à George Bush pour proposer de nouveaux « moyens » de régler les tensions dans le monde.
11 décembre 2007: l'Iran organise une conférence internationale sur l'holocauste rassemblant soixante-sept chercheurs de trente pays, pour la plupart révisionnistes.

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