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L’Acte d’Être sadrien et l’aspiration révolutionnaire (Partie 1)

Amélie CHELLY (S. Enayatzadeh)

Nous proposons ici une analyse de la philosophie de Mollâ Sadrâ Shirâzi sous son angle individualisant, ceci afin d'expliquer pourquoi l'Islam chiite, plus que l'Islam sunnite offre, dans son interprétation la plus structurante en Iran, la perspective d'une position de soi en tant que sujet. Sujet agissant, sujet aspirant, sujet revendiquant, sujet révolutionnaire par extension...
Ceci est la première partie d'une analyse en trois temps.




L’aspiration révolutionnaire semble être un phénomène étranger aux exigences religieuses traditionnelles. En effet, au vu de ce que nous avons pu développer, l’image du fidèle doit trouver son incarnation politique dans la figure de l’oppressé, le sujet soumis à une autorité humaine arbitraire, et ce, jusqu’à temps que Mahdi ne vienne, lui, opérer une révolution au détriment de la décadence et des dominations. Alors comment expliquer ce rapprochement entre la philosophie profondément religieuse chiite de Mollâ Sadrâ Shirâzi[1], et l’aspiration révolutionnaire ? Bien, notre objectif est ici de montrer que la révolution métaphysique opérée par le penseur au XVIème siècle a réellement participé de la construction identitaire du chiisme iranien. Cette révolution métaphysique (sur laquelle nous nous attarderons avec toute la profondeur requise pour soutenir le fondement de nos propos) s’incarne grossièrement dans la substitution d’une métaphysique de l’Essence par une métaphysique de l’acte d’exister. Sans aller jusqu’à introduire à mauvais escient le concept de philosophie existentialiste, concept bien trop teinté par les développements philosophiques occidentaux, on peut néanmoins avancer que les travaux de Mollâ Sadrâ ont érigé une primauté de l’Existence (vodjud, وجود) sur l’Essence (zât, ذات). L’intérêt de cette révolution pour nos travaux réside en ce que ce dépassement de l’existence sur l’essence a notamment eu des répercussions sur le concept d’individu, dessinant ainsi une anthropologie qui permet une lecture de l’eschatologie chiite sans dénaturation[2]. La formation du concept d’acte d’être sur lequel nous nous pencherons ici, a également été à la source d’une éthique d’intensification de cet acte[3]. Cette éthique est à l’origine d’une grande puissance individualisante. L’intensification est en effet un thème incontournable de l’éthique néoplatonicienne en philosophie islamique, thème ayant structuré non seulement la pensée iranienne mais également la conception iranienne de l’individu. C’est la philosophie de Sohrawardî[4] qui introduisit le concept d’intensification dans l’éthique néoplatonicienne, et Mollâ Sadrâ en fit, cinq siècles plus tard, le concept majeur du chiisme spéculatif. Cet héritage sohrawardien aura d’ailleurs valu à Mollâ Sadrâ d’être souvent classé parmi les penseurs de l'illuminisme[5], chose un peu réductrice du fait que nombre de penseurs s’accordent à dire, à juste titre nous semble-t-il, que la philosophie de Mollâ Sadrâ incarne l’unité culturelle et spirituelle iranienne[6], et cette dernière ne saurait se reconnaître dans la seule école illuministe. « La philosophie islamique n’est pas plus un épiphénomène de l’islam que celui-ci n’est un épiphénomène culturel. Elle est l’ontologie de l’islam, le discours qui énonce, à chacune de ses étapes, ce qu’est, selon la révélation prophétique, l’être lui-même. »[7] Alors même si ce symbole culturel qu’incarne Mollâ Sadrâ a bien des fondements historiques, il ne faut pas passer à côté du fait que cette unité culturelle repose avant tout sur la fondation d’une unité conceptuelle sous-tendue par une ontologie structurante. En d’autres termes, l’histoire aura eu un rôle indéniable dans la circonscription de l’importance de la philosophie de Mollâ Sadrâ. Mais l’impact de sa pensée sur la lecture iranienne du monde, et donc sur les déploiements idéologiques aura également eu des répercussions sur les élans révolutionnaires dessinant l’histoire de l’Iran. Il faut effectivement rappeler que Mollâ Sadrâ s’inscrit dans l’effacement d’un monde bipolaire, tant historiquement, que conceptuellement. L’invasion mongole de l’Iran, à l’heure où Hulagu Khân parvient à provoquer la chute d’Alamût en 1256, ainsi que celle de la commanderie des abbassides, a eu des conséquences libératrices pour ce qui concerne l’épanouissement d’une pensée ésotérique autrefois limitée aux cadres de ces derniers pôles[8]. L’ésotérisme de Mollâ Sadrâ trouve une forme cohérente et émancipée des doctrines ésotériques ismaéliennes.



Aujourd’hui, l’Iran est officiellement régi par les lois de l’Islam chiite. Si le chiisme n’est pas né avec Mollâ Sadrâ, force est d’accepter que l’identité du chiisme iranien depuis le XVIème siècle aura pris certains des contours ontologiques que le philosophe aura dessinés. Il semble donc incontournable d’axer notre étude de la puissance individualisante constitutive de l’aspiration révolutionnaire sur un versant philosophique et sociologique. Evidemment, l’une ne saurait être sans conséquence sur l’autre, mais toute décontextualisation de l’analyse idéologique relèverait du délire : cette force individualisante n’aurait pu se déployer et s’incarner dans l’acte révolutionnaire en 1979 sans un contexte, celui notamment décrit par le professeur Farhad Khosrokhavar, d’une modernisation ouvrant le sujet au statut de « quasi-individu »[9].

Nous entendons ici lire l’histoire du chiisme iranien sous l’angle de la construction de la conception de l’individu pour comprendre comment l’islam – qui rappelons-le signifie « soumission » en arabe – faisant du fidèle un soumis, c’est-à-dire un « mosalmân » (مسلمان), a pu contenir, en islam iranien, un versant d’imposition individuelle par la volonté d’action, en l’occurrence d’action révolutionnaire.
La révolution métaphysique opérée par Mollâ Sadrâ a, comme on le sait, beaucoup intéressé Henri Corbin. Le penseur est l’un des rares intermédiaires éclairants de l’inscription de la pensée sadrienne au sein de l’histoire de la philosophie islamique pour la pensée occidentale. Mollâ Sadrâ est d’abord le philosophe de l’entre-deux-mondes, le philosophe de la rationalisation de la pensée islamique, c’est-à-dire de la révélation et de la méditation. Le rationalisme a fait son entrée en terre d’Islam quelques siècles avant le déploiement de la pensée de Mollâ Sadrâ[10], et aura ouvert la voie au possible mariage entre méthode spéculative rationnelle et effort d’ascèse intérieure. « Ce qui convient le mieux, c’est que le pèlerin de Dieu (al-sâlik ilâ’llâh) fasse la synthèse des deux méthodes. Que son ascèse intérieure (tasfîya) ne soit jamais vide de méditation philosophique (tafakkor) ; et réciproquement que sa méditation n’aille jamais sans un effort de purification intérieure. »[11] Le moment sadrien n’est pas uniquement l’heure d’une révolution métaphysique, il représente également une prodigieuse synthèse de la spéculation islamique. En même temps qu’il commentait et parachevait l’œuvre de Sohrawardî, tout en refondant un avicennisme eshrâqî (Cf note. 4), Mollâ Sadrâ, profondément imprégné de l’enseignement des Imâms, participait de la grande renaissance philosophique islamique dessinant le XVIè siècle iranien, et teintant profondément les siècles qui s’ensuivirent. La refondation et le parachèvement des bases des plus grands courants de pensée assoient la légitimité de Mollâ Sadrâ et permet par là-même une autorité sans précédent à sa propre pensée révolutionnaire (nous considérons toujours un champ métaphysique), pensée émancipée de siècles d’enseignements islamiques qu’il maîtrise parfaitement[12]. Cette révolution consistant en un renversement donnant prédominance à l’existant sur la quiddité (mâhîyat), implique une redéfinition de l’individu. Comme l’explique très clairement Dâryush Shâyegân, « l’ontologie des Péripatéticiens considérait qu’une essence est immuable, c’est-à-dire qu’une essence ou quiddité est ce qu’elle est, sans que son être impliquât nécessairement son existence : celle-ci est un attribut qui se surajoute à l’essence : en d’autres termes l’existence est un prédicat de la quiddité. Mollâ Sadrâ inverse cette perspective. A présent c’est la quiddité qui est le prédicat de l’existence, puisque c’est en existant que l’être est ce qu’il est. »[13] De ce renversement, découle la lumineuse conclusion toujours formulée par Dâryush Shâyegân, nous assistons à un « divorce entre la pensée et l’être »[14] du fait qu’avec Mollâ Sadrâ, l’être ne saurait, comme c’était le cas dans la tradition philosophique essentialiste, être un pur produit du jugement sans préalablement être au monde. Sur ce principe s’articule tout un système philosophique qui a) fonde le discours de la Révélation (d’un même jet, puisque posé en tant qu’existant, elle atteint l’être en tant qu’être) et b) définit une nature de l’homme qui, loin de n’être qu’une simple conséquence de l’être créateur, est un être donné qui renvoie la création à ses sources.
 Christian Jambet parle, au sujet de la confusion entre fondement ontologique et Révélation, d’ « équation coranique »[15], à savoir l’équivalence de l’identification de Dieu à l’Unité, à l’éclosion de la vérité de l’être lui-même. De ce principe, découle l’idée d’une identification de l’être au réel[16]. « L’être[17], nous dit Mollâ Sadrâ, est parmi les choses ce qui est le plus en droit d’avoir une réalité, parce ce qui est autre que lui, c’est par lui qu’il a une réalité et qu’il est (kā’in), dans le concret et dans les entendements. C’est par lui que tout ce qui participe au réel obtient sa réalité. Comment donc l’être serait-il quelque chose qui ne relèverait que de la considération de [l’entendement], ainsi que l’affirment ceux qu’un voile empêche de le contempler ? [Cela] aussi parce que l’être est ce qui est instauré par essence, à l’exclusion de ce qui est appelé quiddité, ainsi qu’il apparaitra bientôt, si Dieu veut. »[18] De cette première partie du Shawâhid al- rubûbiyya, comprenant cinq chapitres, le principe d’être renvoie de façon révolutionnaire la quiddité au statut d’ombre du réel.

La quiddité, l’ombre de l’existant, est ce qui définit l’existant par la négation : étant ce qu’il n’est pas, il construit sa frontière. Sans trop nous étendre sur un sujet qui pourrait faire l’objet d’une autre thèse, de cette opposition entre limite et réel, débouchant pour autant sur la définition de l’être, on est à même de saisir une définition nouvelle de l’homme : Si Dieu est le plus haut degrés d’intensité et de pureté d’acte d’être, excluant par là-même tout versant quidditatif (étant existence pure, Dieu est le seul Être sans quiddité limitative – Dieu est la réalité illimité par excellence), où est l’homme et qui est-il ? Dieu incarne, ce qui n’est ni nouveau, ni propre à l’interprétation sadrienne du chiisme, l’Être parfait. Ce qui, par contre, est réellement propre à la pensée de Mollâ Sadrâ réside en cette idée d’intensité de l’acte d’être, de degrés vers la pureté de l’exister. Dans ce système, Dieu fait donc figure de perfection du fait de sa pleine et parfaite existence. Dans cette définition de la perfection se confondent intensité, pureté, puissance, puisque chacune d’elles convergent, ou plus actent, dans le sens de l’existence. Le métaphysique rencontre bien le théologique : Dieu est al-qayyûm (القيوم), le Provident, celui qui subsiste par lui-même, l’Existant à la source de tout autre existant[19]. Mollâ Sadrâ fait correspondre la définition coranique du Provident avec sa philosophie des degrés d’Être, Dieu incarnant cette perfection en outrepassant l’idée même de limite graduelle[20]. C’est ce point de confluence entre étude coranique et métaphysique qui nous pousse à reconnaître la nécessaire association du nom de Dieu al-qayyûm, avec celui d’al-hayy (الحي) : Dieu étant par excellence, ne fait finalement plus que figure d’étant sans autre attribution. Un être providentiel qui ne serait qu’al-qayyûm (un être qui subsiste par lui-même), ne saurait que rejoindre la sphère de l’étant, sphère qui lui pré-existerait. Or, si la perfection de Dieu dans l’être n’est qu’un a posteriori, il ne serait pas Dieu. Comme l’explique brillamment Christian Jambet, « cette confirmation [dans l’être] est la vie même du ‘vivant’ par excellence, l’information de l’étant, la constitution de l’étant en tant qu’étant »[21]. Ainsi intervient le terme al-hayy, « le vivant », dans toute son indéfectibilité d’avec le terme al-qayyûm. Ces deux noms incarnent une jonction parfaite de l’éclosion de Dieu en tant qu’existant parfait. Parfait également puisque qu’al-hayy signifie le Vivant éternel, celui qui vit éternellement, et qui donc fait voler en éclat toute idée de limite. Allah al-hayy s’inscrit dans son Unité providentielle et dans l’illimité. « L’Un surinfini »[22] comme paradigme de l’être s’incarne en Dieu et constitue donc l’étalon absolu par rapport auquel tout être peut définir son degré d’intensité.




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[1] Sadroddîn Mohammad Shirâzî, plus connu sous le nom honorifique de Mollâ Sadrâ, est une figure incontournable de l’Ecole d’Ispahan. Né en 1572, il eut pour professeurs les très illustres Shaykh Bahâ’oddîn ‘Amilî, Mîr Dâmâd, ainsi que Mîr Abûl-Qâsim Fendereskî, acquérant ainsi un savoir étendu en sciences islamiques avec le premier professeur, les sciences philosophiques avec le deuxième, ainsi que les savoirs liés à la vaste entreprise de traductions des œuvres sanskrites engagée par le troisième.

[2] Nous entendons par « sans dénaturation », l’idée d’un accord avec l’attente eschatologique chiite de l’avènement des temps succédant le retour de l’imâm Mahdi. Ici, nous faisons référence à l’adéquation entre l’intensification anthropologique et l’avènement de l’Homme Parfait. Nous reviendrons bien évidemment plus en profondeur sur ce point savamment étudié par Henri Corbin (Histoire de la philosophie islamique, II, Gallimard, 1964, p.1161)


[3] Selon Mollâ Sadrâ, le souci eschatologique est indéfectiblement lié à une injonction éthique : « Être au maximum de soi-même », pour reprendre les termes de Christian Jambet (Se rendre immortel, suivi du Traité de la résurrection (Mollâ Sadrâ Shîrâzî), Montpellier, Fata Morgana, 2000 (Diffusion: Paris, Les Belles Lettres). Ici, l’éthique ne consiste pas en la réponse à des principes extérieurs, mais en une intensification de soi, en une élévation maximale de son statut. L’intensification de l’acte d’être contient un impératif d’accomplissement de soi au plus haut niveau.


[4]Shahab al-Din Yahya as-Sohrawardi, philosophe mystique né en 1155, a fondé l’école de l’illuminisme (اشراق Eshrâgh), il était déjà l’initiateur d’un renouvellement de la mystique islamique. Cette révolution interprétative consistait, grossièrement ici, en une conception du monde comme l’effusion hiérarchisée des lumières immatérielles


[5] FAKHRY Majid, A History of Islamic Philosophy (New York: Columbia University Press, 1983 (2nd edition)), pp. 304-5.


[6] « Mollâ Sadrâ, symbole de l’unité culturelle iranienne* » (Exposé fait au Congrès international de Mollâ Sadrâ, le 24 mai 1999), MODJTAHEDI Karim, La Revue de Téhéran, n° 43, Juin 2009.


[7] JAMBET Christian, L’Acte d’Être, la philosophie de la révélation chez Mollâ Sadrâ, Fayard, Paris, 2002, p. 11.


[8] « La situation philosophique en islam eût, sans doute, été tout autre si deux événements capitaux n’avaient eu lien : la marginalisation de l’admirable théologie ismaélienne après la tragédie d’Alamût, et l’intégration massaive de la pensée d’Ibn ‘Arabî à la philosophie chiite duodécimaine » JAMBET Christian, L’Acte d’Être, la philosophie de la révélation chez Mollâ Sadrâ, Fayard, Paris, 2002, p. 14.


[9] KHOSROKHAVAR F. L’islamisme et la mort, Le martyre révolutionnaire en Iran, L’Harmattan, Paris, 1995.


[10] Le tournant le plus important concernant le processus de rationalisation en pensée islamique est très certainement le dixième siècle, siècle au cours duquel les textes des grands penseurs grecs et alexandrins ont été traduits. Ces concepts nouveaux ont naturellement eu besoin d’un temps d’adaptation pour être accueillis par la pensée islamique, voire à teinté des termes d’une signification nouvelle. Le terme aql’, qui revêtait le sens d’ « intelligence » jusqu’alors, signifie dès lors « raison ». « Ce ne furent pas uniquement les philosophes, les théologiens rationalisants ou encore les libres-penseurs qui eurent recours pour combattre les défenseurs traditionalistes d’une ‘orthodoxie’ nouvellement établie, mais aussi, parmi ces derniers, un grand nombre de penseurs qui présenteront désormais l’islam comme la ‘religion rationnelle’ par excellence. » AMIR-MOEZZI Mohammad-Ali et JAMBET Christian, Qu’est-ce que le shî’isme ? Fayard, Paris, 2004, p. 183.


[11] CORBIN Henri, En Islam iranien, IV, p. 61-62.


[12] « La philosophie shî’ite duodécimain (…) aurait eu un autre visage si l’histoire de l’Iran n’avait favorisé, au XVIIe siècle, cette récapitulation et cette diffusion du savoir traditionnel dont témoigne, au plus haut degré, l’œuvre de Mollâ Sadrâ. Enfin, elle n’aurait pas été ce qu’elle fut sans la puissance génératrice de l’œuvre d’Avicenne, sans ce que nous nommons ici le « moment avicennien », JAMBET Christian, L’Acte d’Être, la philosophie de la révélation chez Mollâ Sadrâ, p. 14.


[13] SHAYEGAN Dâryush, Henry Corbin, penseur de l’Islam spirituel, Albin Michel, Paris, 2011, p. 210.


[14] Ibid.


[15] L’Acte d’Être, la philosophie de la révélation chez Mollâ Sadrâ, p. 11.


[16] Ibid. p. 63.


[17] Là où Cécile Bonmariage traduit par « l’être » (de l’arabe vujûd), Christian Jambet traduit par « l’acte d’être ». Et nous préférons d’ailleurs cette dernière traduction pour ce qui concerne ce terme. Concernant cette difficulté à traduire le terme al-wujûd, c’est la pluridimentionalité du terme arabe qui est à incriminer : wujûd peut aussi bien prendre le sens d’acte d’être, que d’existence, ou d’être, purement et simplement. Ceci tient à une question de structure linguistique, et plus particulièrement aux formes dérivées des verbes en arabe. La forme infinitive, dite masdari, peut être une forme nominalisante. On peut parler de catégorie de « nom verbal », on peut distinguer les infinitifs exprimant le processus (le fait de + verbe), et le nom d’une action (c'est-à-dire le résultat du processus). Cette catégorie a les caractéristiques d’un nom ordinaire : possibilité d’être mis au pluriel, de servir de base à la formation d’un adjectif…


[18] Mollâ SADRÂ, Shawâhid al- rubûbiyya, p. 6. Nous avons choisi la traduction de Cécile Bonmariage (in Le réel et les réalités: Mullā Ṣadrā Shīrāzī et la structure de la réalité, Vrin, « Études musulmanes », Paris, 2008, p. 161.


[19] Entre autres, la sourate 2 Al Baqara La vache verset 255 dit : « Allah ! Point de divinité à part lui, le Vivant, Celui qui subsiste par lui-même ‘al-Qayyûm’. Ni somnolence ni sommeil ne Le saisissent. A lui appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre. Qui peut intercéder auprès de Lui sans sa permission ? Il connait leur passé et leur futur. Et, de Sa science, ils n’embrassent que ce qu’Il veut. Son Trône ‘Kursiy’ déborde les cieux et la terre, dont la garde ne Lui coûte aucune peine. Et Il est le Très Haut, le Très Grand. »
La sourate 3 Al Imrab La famille d’Imran, verset 2, et la sourate 20 Ta-ha verset 111, associent également le terme al-Qayyûm, à l’expression « Celui qui subsiste par lui-même ».


[20] Ce travail de définition se trouve notamment dans son Tafsîr al-Qor’ân al karîm, édition M. Khâjavî, Qom.


[21] L’Acte d’Être, la philosophie de la révélation chez Mollâ Sadrâ, p. 88.


[22] Ibid. p. 90.

Commentaires

Anonyme a dit…
Je rêve ou deux personnes ont cliqué sur "amusant" ??

Passionnant ! Christian Jambet a une analyse très littérale du chiisme et surtout, brillante mais a-thésée. J'entends par là qu'il n'explique que Sadrâ sans chercher les répercussions de sa pensée sur le comportement social. Shâyegân a bien compris Corbin, mais c'est tout ce qu'il a essayé de faire. Moezzi est un théologue génial, mais il n'est que théologue.

Bravo d'avoir su ériger le début d'une thèse digne d'un Gauchet avec son désenchantement du Monde

R.P.

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