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L'Iran se sépare de son Président de la République?









« Dans la présente situation, le régime politique du pays est Présidentiel et le Président de la République est élu directement par le peuple, ce qui est une bonne chose. Mais si un jour, dans un avenir lointain, nous avons le sentiment qu'un régime parlementaire est un meilleur moyen pour choisir le chef de l'exécutif, il n'y a pas de problème pour changer le système actuel », traduisons-nous de la dernière allocution de Khamenei. Nous ne sommes pas bien loin du « nul besoin d’avoir un Président »

Extrait de l'allocution d'Ali Khamenei, à Kermânchâh, le 16 octobre 2011


Selon les principes 113 et 114 de la Constitution iranienne, la présidence de la République est la deuxième plus haute fonction de la République islamique et le Président doit être élu au suffrage universel direct. C'est donc une volonté inconstitutionnelle qu'Ali Khamenei a présenté devant une assemblée d'étudiants à Kermânchâh. L’Iran traverse depuis quelques mois, une crise politique qui a notamment touché à son paroxysme à la fin du mois d’avril dernier, quand le Président de la République, Mahmoud Ahmadinejad, a disparu de la scène politique l’espace de dix jours, pour exprimer sa contrariété au guide : tout a notamment commencé lorsque Khamenei a imposé Heydar Moslehi comme ministre des Renseignements et de la Sécurité nationale à Mahmoud Ahmadinejad, après que le Président a accepté avec enthousiasme la démission du ministre. Le conflit a trouvé une continuité dans l'affaire Esfandiar Rahim Mashai, premier vice-Président, dont le guide exigeait l'éviction auprès de Mahmoud Ahmadinejad. La personnalité jugée excentrique de Mashaie était devenue gênante dans la sphère politique iranienne, et les refus d'éviction opposés par le Président, une source de tension dans le bon déroulement de la vie politique du pays. Plus récemment, Mahmoud Ahmadinejad a également manifesté sa volonté de contrarier le guide suprême en gardant le silence, quatre jours durant, face à l’accusation américaine relative à la tentative d’assassinat de l’ambassadeur de l’Arabie Saoudite à Washington. Les deux hommes n'accordent définitivement plus leurs violons dans la direction du pays. La dernière manifestation de ce désaccord consiste en un discours prononcé par Khamenei, le 16 octobre dernier, à Kermânchâh, devant une assemblée d’universitaires : le poste de Président de la République ne serait plus d’une nécessité absolue au régime. Allusions ? Menaces ? Ou réel engagement d'une réforme constitutionnelle ? L’hypothèse de la suppression du poste de Président, ou encore de celle de l’élection d’un premier ministre par le parlement compte un certain nombre de paramètres qu'il est urgent de considérer.
Une telle réforme nous ferait revenir sur la nature même du régime, sans paradoxalement toucher à son concept fondateur : l’actuel régime repose sur le concept de velâyat-e faghih (« gouvernance par le savant-théologien »), concept incarnant le versant théocratique du régime, la partie « islamique », en quelque sorte, de l’appellation « République islamique ». L’autre partie, « République », trouve une place "rafistolée" dans l’existence politique du Président de la République ("Res publica", "chose publique", semble peu compatible avec le concept de théocratie...). La guidance du théologien, concept religieux revisité par Khomeiny, premier guide suprême (1979-1989), accorde, contre la tradition, pratiquement tous les pouvoirs politiques à la sphère religieuse incarnée par le guide. La présidence est donc plus un titre honorifique qu’effectif. Ce fut le cas jusqu'en 1989 où un changement constitutionnel conférant au Président de la République de plus grandes responsabilités vit le jour. Désormais, selon la modification de 1989, le Président choisit les hommes politiques du gouvernement, et dirige l'exécutif sans premier ministre (dans une limite dessinée par les prérogatives du guide). C’est très certainement ce pouvoir qui a été visé par la dernière allocution de Khamenei : plongé dans la crise politique que l’Iran traverse actuellement, il semble évident que le renforcement des pouvoirs du Président né 1989 soit tout désignés comme devenant un frein au bon fonctionnement du régime et aux volontés d'un guide peu enclin aux débats.
Puis finalement, tel est pris qui croyait prendre... C'est parce qu'Ali Khamenei redoutait la puissance présidentielle qu'il avait justement imposé Mahmoud Ahmadinejad, rangé sous l’étiquette de radical, après la mascarade électorale de 2009. Radical, manipulable, Mahmoud Ahmadinejad semblait être le candidat idéal au plein exercice du pouvoir du guide... pour le guide. Mais la population, bien consciente des modalités qui verrouillent les candidatures à la présidence de la République, pensait au moins pouvoir montrer au monde qu’elle se sent plus proche des moins durs du régime, d'où les soulèvements enfiévrés d'une population qui s'est, certainement à juste titre, sentie trahie. La crédibilité du régime a clairement été fragilisée. Dorénavant, aux vues de la nouvelle dimension des relations entre le guide et l’actuel Président de la République et d’une impossibilité évidente à réitérer l’expérience de l’élection truquée à l’avenir, on comprend mieux l’intérêt qu’aurait le guide à supprimer la présidence. Cela devient une question de pérennité, d’autant plus que, comme nous l’avons dit, supprimer la présidence ne mettrait pas en péril l’aspiration théocratique, seulement la nature républicaine, ce qui n’engage pas, a priori, de révolution au sens propre du terme, à savoir un changement radical des institutions et du personnel politique en place.
La question de la suppression de la présidence n’est d’ailleurs pas nouvelle : déjà, il y a quelques mois, Hamid Reza Katouzian, le Président de la commission de l'énergie au Parlement, et député conservateur, parlait avec sérieux et rigueur du manque de nécessité de poste de Président : « nul besoin d’avoir un Président » avait-il dit devant l'Assemblée. La redondance de thème désormais abordé à nouveau par Khamenei passe dès lors moins pour un caprice ou un emportement rhétorique, que pour une perspective réellement envisagée.
La bonne idée de Katouzian, semble définitivement arranger les affaires du guide, d'autant qu'un passage d'une "République islamique" à un "Gouvernement islamique", s'il va de pair avec le remplacement d’un Président par un premier ministre ne saurait induire l’annihilation de certaines attributions. Que ces attributions tombent entre les mains d’un élu parlementaire ou du guide, ne saurait trop faire de différence, car même si du point de vue des textes, les rôles sont définis, on sait bien que les débordements du pouvoir du guide sont récurrents et font partie d'un décor politique sur lequel on ne s'arrête même plus. La conséquence visible, palpable et mesurable sera le durcissement du versant dictatorial du régime avec la normalisation de la suppression du sufrage universel.



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