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La France, L'Iran, les accords (Huffpost) par Geoffroy Clavel

La France est un peu moins bien partie que l'Italie dans la ruée vers l'or d'Iran

Publication: Mis à jour: 
HOLLANDE ROHANI
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DIPLOMATIE - "Celui qui attend la fortune est moins sûr de la rencontrer que celui qui va au devant d'elle." Nul doute que le président iranien Hassan Rohani fera honneur à ce sage proverbe persan en bouclant sa mini-tournée européenne qui l'aura mené en une semaine de Rome à Paris. Une première depuis 1998 s'agissant de la capitale française où la délégation iranienne est attendue les bras ouverts, en dépit des alertes des ONG sur la situation des droits de l'Homme dans la République islamique.
Si ces visites officielles consacrent le retour de Téhéran dans le concert des nations après la signature de l'accord mettant fin aux sanctions sur le nucléaire iranien, leur principale raison d'être est bien économique. Une cohorte composée d'une centaines d'acteurs économiques iraniens ainsi que des ministres des Affaires étrangères, du Pétrole, des Transports, de l'Industrie et de la Santé, accompagne le chef de l'Etat chiite dans son périple.
Point d'orgue de cette tournée: la signature d'ores et déjà annoncée d'un accord pour l'achat de 114 Airbus lors de la rencontre du président Rohani et de son homologue français, François Hollande.
La ruée vers l'or iranien est lancée
Etranglé depuis une dizaine d'années par des sanctions coordonnées par les Etats-Unis pour le contraindre à renoncer à un programme nucléaire perçu comme une menace, l'Iran entend désormais rattraper son retard. Son objectif: appeler les investisseurs étrangers à venir combler ses importants besoins en infrastructures pétrolières, industrielles et financières. "L'Iran est le pays le plus sûr, le plus stable de toute la région", a d'ores et déjà plaidé Hassan Rohani lors de son passage en Italie. "Nous vous invitons à investir et nous vous fournirons la stabilité et la garantie que vous aurez un juste retour sur votre investissement", a-t-il rajouté, présentant l'Iran comme un "hub régional", "un pays au centre d'un vaste marché". Il fera de même en France où il devait rencontrer une vingtaine de grandes entreprises avant de retrouver François Hollande.
Les entreprises françaises n'ont toutefois pas attendu son invitation pour se positionner. Car la réouverture de l'Iran et l'accès à son marché intérieur de quelques 80 millions d'habitants constitue une aubaine pour les sociétés exportatrices. Total, Peugeot, Renault, mais aussi l'industrie agroalimentaire et le BTP... Tous sont déjà sur les rangs pour participer à la ruée vers l'or iranien.
"L'Iran veut devenir une destination touristique ouverte aux Occidentaux. Pour cela, il lui faut des avions neufs, des aéroports en état de marche, des infrastructures hôtelières", résume Amélie Chelly, spécialiste de l'Iran et chercheuse à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Des secteurs où la France a quelques arguments à faire valoir. En septembre dernier, le groupe hôtelier Accor a déjà pris pied à Téhéran en y reprenant deux hôtels, devenant la première entreprise occidentale à pénétrer le marché iranien depuis la révolution de 1979.
Si la France peut espérer se tailler un part conséquente dans le nouveau gâteau iranien, c'est aussi parce que ses liens économiques avec l'ancienne Perse ne datent pas d'hier. Alors que les deux puissances se côtoient depuis le Moyen-Âge, toutes deux ont sans cesse maintenu leurs échanges, en dépit des changements de régime et des vicissitudes diplomatiques. A la fin de la présidence de Jacques Chirac, plus conciliant à l'égard de Téhéran, les échanges entre Paris et Téhéran culmineront à 4,5 milliards d'euros. Ils sont aujourd'hui inférieurs à 400 millions d'euros.
Concurrence libre et imparfaite
Les sociétés du CAC40 savent néanmoins que l'eldorado iranien peut aussi se transformer en mirage. Certaines redoutent encore un nouveau refroidissement des relations entre Téhéran et la communauté internationale, alors que les tensions entre l'Iran chiite et l'Arabie saoudite sunnite ont tourné à l'affrontement larvé.
En outre, les entreprises françaises, dont certaines étaient très bien implantées en Iran avant les sanctions, doivent désormais faire face à une redoutable concurrence. Profitant de la désaffection des démocraties occidentales, la Russie et la Chine ont placé leurs pions. Et si les Etats-Unis restent le Grand Satan dénoncé par la rhétorique islamique iranienne, d'autres puissances jouent des coudes pour s'imposer. D'autant que certaines ont su, en attendant la levée des sanctions, entretenir leurs réseaux diplomatiques avec la République islamique. Un détail qui compte dans un régime guidé par la volonté de "ne pas perdre la face" et qui saura se souvenir de ceux qui ont quitté le navire les premiers.
Jadis premier partenaire économique de l'Iran avec près de 7 milliards d'euros d'échange, l'Italie a toujours maintenu le contact et se place logiquement en pôle position dans la reconstruction du pays. Il y a en Iran un "énorme besoin d'investissements et de compétences", a assuré le président de l'agence italienne du commerce extérieure, Riccardo Monti. Les bonnes relations diplomatiques donnent "un léger avantage" à l'Italie, mais "on fait la queue" pour investir en Iran, a-t-il toutefois mis en garde. A raison.
Les besoins de Téhéran étant pour beaucoup industriels et financiers, la redoutable diplomatie économique allemande, bien aidée par sa solide diaspora iranienne, devrait prendre la tête de la course. Berlin peut espérer une hausse de ses exportations vers l’Iran de 1,9 milliards de dollars sur la période 2015-2017 selon une estimation de l'assureur Euler Hermes (lien en anglais). Selon la même étude, la Chine bénéficierait d'une hausse de 1,8 milliard, l'Italie pourrait viser 0,9 milliard d'exportations et le Royaume-Uni 0,6 millard.
Pragmatisme et devanture théocratique
Du côté de Paris, il va donc falloir montrer patte blanche pour s'imposer dans la course et effacer plusieurs années de relations diplomatiques houleuses. Désignée comme un "Petit Satan" en raison de ses liens avec Israël et les Etats-Unis, la France n'a pas toujours ménagé la susceptibilité de la République islamique. Qu'il s'agisse de l'attitude intransigeante adoptée par le ministre Laurent Fabius pendant les négociations sur le nucléaire iranien ou encore de son alliance stratégique avec le grand rival sunnite d'Arabie saoudite. Si certaines entreprises, comme Total, n'ont jamais totalement quitté le pays, les constructeurs automobiles pourraient payer cher leur désaffection.
Pour autant, "la répartition des contrats se jouera au cas par cas", parie la chercheuse Amélie Chelly. "L'Iran a le pied entre deux mondes, guidé par une logique pragmatique derrière une devanture théocratique", estime-t-elle. Dans ce contexte, le poids des rancunes ne devrait peser qu'à la marge. C'est aussi l'avis de l'assureur Euler Hermes dont l'étude prédit la multiplication par 5 de la hausse des exportations du "Grand Satan" américain vers l'Iran. La France pourrait doper ses exportations à hauteurs de 1,3 milliard, loin derrière la Chine et l'Allemagne mais toujours dans le trio de tête européen.
Preuve que l'avenir est plein de promesse pour les relations franco-iraniennes, les exportations françaises vers l’Iran ont augmenté de 28% et les importations de 11%sur les trois premiers trimestres de 2015.

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